Rejeter l'anti-intellectualisme

On assiste à la réapparition d'une tendance malhonnête qui détourne les concepts d'"accessibilité" pour attaquer et supprimer les efforts radicaux d'éducation politique. L'accent mis sur une éducation politique permanente et cohérente est rejeté comme étant déconnecté des besoins de la population. Mais ces critiques doivent être vues clairement pour ce qu'elles sont : un anti-intellectualisme déguisé en une fausse préoccupation pour l'insaisissable "personne lambda". Il ne s'agit pas de véritables préoccupations sur la manière dont les gens apprennent (en ignorant l'éventail de techniques telles que la création de glossaires, d'enregistrements audio de documents écrits, d'aides visuelles ou la mise en place d'environnements de lecture en groupe), mais d'attaques contre les actes d'apprentissage et d'étude.


Comme l'explique un article du Studio Atao, l'anti-intellectualisme est plus qu'une "simple hostilité à l'égard de l'acquisition de connaissances, ou le sous-produit de l'absence d'éducation formelle... c'est un état d'esprit omniprésent et populaire car il nous encourage à nous accrocher à nos croyances les plus ferventes, avec peu ou pas de preuves à l'appui."


Nous sommes au milieu d'une guerre de propagande. En tant que telle, l'insistance croissante à associer la structure et l'institution de l’université à l'intellect et à l'alphabétisation (c'est-à-dire que toute personne qui semble être alphabétisée ou "intelligente" est considérée comme redevable à l’éducation nationale et à l’université) alimente l'anti-intellectualisme, qui qualifie à tort la lecture et l'étude d'élitisme.


Après des années de ce récit, la malhonnêteté intellectuelle sur la nécessité de la lecture est fermement menée par des supposés gauchistes et des personnalités progressistes de premier plan. Dans un article de Vanity Fair, Alexandria Ocasio-Cortez a fait remarquer : "Quand les gens disent que je ne suis pas assez socialiste, je trouve cela très classiste. C'est comme, 'Quoi-je n'ai pas lu assez de livres pour toi, mon pote ?'".  AOC a utilisé l'arme de l'anti-intellectualisme pour subvertir toute critique de son soutien à l'agression impériale américaine contre les nations souveraines du Sud, décriant la lecture comme un passe-temps de l'élite et décrivant la politique étrangère comme trop mondaine pour "la personne lambda."


Le rejet de la théorie de l'engagement consiste à dire que la lecture ne répond pas aux besoins immédiats de la contradiction primaire de l'impérialisme. Pourtant, des livres comme Hammer and Hoe de Robin DG Kelley : Alabama Communists During the Great Depression de Robin DG Kelley donnent de nombreux détails sur la façon dont les métayers avec peu ou pas d'éducation formelle se sont engagés dans la théorie marxiste. Le guide d'étude de l'Armée de libération noire, rédigé et étudié par le lumpenprolétariat et la jeunesse africaine de la classe ouvrière pauvre, explique comment mettre la théorie en pratique. Que dire des nombreux révolutionnaires africains qui ont misé sur l'éducation politique pour mener à bien leurs révolutions, comme Amilcar Cabral, Samoa Machel et Thomas Sankara? Qu'en est-il de l'expansion des masses alphabétisées après les révolutions parce qu'elles étaient centrées sur la "nouvelle société", comme à Cuba, à Grenade et au Nicaragua? Ou encore l'accent mis sur l'alphabétisation pendant la période de reconstruction après la guerre civile, qui a servi de catalyseur à ce qui allait devenir le mouvement des droits civiques, comme l'explique en détail Ibram X. Kendi dans The Black Campus Movement : Black Students and the Racial Reconstitution?


Lorsque 54% des adultes américains âgés de 16 à 74 ans - soit environ 130 millions de personnes - ne maîtrisent pas la lecture, lisant en dessous de l'équivalent d'un niveau de sixième, l'anti-intellectualisme agressif qui se développe de plus en plus en ligne et qui déborde devrait être un signal d'alarme. L'anti-intellectualisme n'est pas simplement alimenté par des opinions réactionnaires, mais il façonne, construit et soutient les idées de ceux qui sont au pouvoir - la classe dirigeante - en fin de compte en sapant les nouvelles connaissances et les nouvelles idées comme étant "non pertinentes". Cela mine finalement nos capacités d'organisation. C'est un programme contre-révolutionnaire qui se cache sous le langage de l'"accessibilité". Le résultat de ce rejet est l'apparition d'opinions sans principes et réactionnaires, toutes validées parce que c'est ce que quelqu'un ressent.


La distorsion de l'"accessibilité" est également évidente dans la prévalence de l'éducation politique par le biais des mèmes. En ligne, des diapositives de mots brillants sur des fonds d'écran colorés soigneusement choisis de l'application Canva ou une analyse culottée de 69 secondes ou moins en AAVE (Anglais vernaculaire afro-américain) des événements actuels deviennent un substitut au matérialisme historique et dialectique. Rien n'a besoin d'être cité, il suffit d'être émotionnellement attirant. On peut donc s'engager dans l'activisme du hashtag et faire des déclarations sur les nations dans le collimateur de l'impérialisme occidental sans fournir autre chose que des pensées et des opinions sur le sujet. Ils ne sont pas tenus de présenter un argument complet, de fournir des sources primaires ou de définir quoi que ce soit.  Mais parce qu'ils sont rendus "accessibles", ils sont assimilés à des faits et se répandent comme une traînée de poudre.


Il s'agit d'une question critique dans l'organisation, alors que l'anti-intellectualisme agressif est normalisé comme radical. Cela renvoie directement à notre condition d'Africains colonisés dans les limites de l'empire qui applaudit et encourage l'anti-intellectualisme par le biais d'un faux système éducatif colonial. Il s'agit également du chauvinisme global nord/occidental qui est profondément ancré dans cette société de personnes qui n'ont jamais fait de révolution, qui sont loin d'être organisées pour faire une révolution, qui ont une opinion très forte sur ce qu'il faudrait faire tout en refusant de lire, d'étudier et d'engager la révolution et ses caractéristiques de classe. Ces actions sont les vestiges d'un peuple collectivement analphabète.


Les Africains colonisés comprennent certainement leur condition dans la mesure où les États-Unis sont une nation raciste et agissent en conséquence. Ce qui n'est pas compris, c'est la manière dont une éducation politique fondée sur des bases solides permet d'expliquer que les États-Unis ne sont pas seulement une nation raciste, mais aussi une nation coloniale, ce que cela signifie, comment cela se manifeste et comment nous devons nous organiser pour y mettre fin. Logiquement, bien sûr, on peut comprendre que la pression pour survivre sous l'impérialisme national interfère avec la capacité de beaucoup à comprendre ce à quoi ils sont confrontés par le biais de l'éducation politique collective et de l'organisation. Les conditions matérielles sont terribles et nécessitent des solutions, mais si nos conditions continuent à se détériorer, c'est en grande partie parce que nous sommes collectivement loin d'être équipés pour comprendre et verbaliser les causes de nos conditions que la lecture et l'organisation (collectives) nous aident à mieux comprendre et à lutter pour gagner.


"Il n'existe pas d'éducation neutre. L'éducation fonctionne soit comme un instrument pour amener la conformité, soit comme un instrument de liberté."


PAULO FREIRE, PÉDAGOGIE DE L'OPPRIMÉ


L’auteure : Erica Caines est poète, écrivain et organisatrice à Baltimore et dans la région de Washington. Elle est membre du comité d'organisation de la coalition anti-guerre, l'Alliance noire pour la paix, ainsi qu'un membre de proximité du Parti afrocentré du progrès du peuple Ujima. Caines a fondé Liberation Through Reading en 2017 comme un moyen de fournir aux enfants noirs des livres qui les représentent et a créé l'extension, un club de lecture intitulé Liberation Through Reading BC, pour renforcer l'éducation politique en ligne et dans nos communautés.

​Source : https://hoodcommunist.org/2022/12/08/reject-anti-intellectualism/amp/