Il était l’un des philosophes politique d’expression anglaise les plus influents des dernières décennies. Charles W. Mills a succombé à une longue maladie le 20 septembre 2021, dans l’Illinois, à l’âge de 70 ans. Un an plus tard, l’admirable maison d’édition montréalaise Mémoires d’Encrier fait paraitre la traduction de son œuvre majeure originellement parue en 1997 : Le Contrat Racial. Grâce au travail d’Aly Ndiaye, chercheur et artiste plus connu sous son pseudonyme de Webster, le lectorat francophone peut désormais s’approprier, discuter et questionner la pensée d’un philosophe noir de premier plan. Mills est né en janvier 1951 à Londres de parents Jamaïcains. Alors qu’il n’est âgé que d’un an, la famille retourne dans les Caraïbes. C’est en Jamaïque que grandit le jeune Charles, dans un milieu culturellement et économiquement favorisé. Diplômé en physique de l’Université des West Indies, il se réoriente vers la philosophie à la faveur d’une opportunité d’étudier au Canada. Il obtient en 1985 un doctorat de l’Université de Toronto, avec une thèse sur Marx et Engels. Si les intérêts de Mills portent alors avant tout sur la théorie socialiste et la situation du Tiers-Monde, ses études doctorales le familiarisent avec les doctrines à la mode dans le champ de la philosophie politique, en ébullition depuis la parution en 1971 de la Théorie de la Justice de John Rawls. Cet ouvrage, qui réinvente le style et la méthode de la discipline au sein de la pensée anglo-américaine, donne un nouveau souffle à la pensée libérale et ressuscite l’intérêt des universitaires pour la philosophie politique normative. Au cours de sa carrière, Mills a enseigné dans l’Oklahoma, dans l’Illinois, avant d’achever une carrière marquée de quelques désillusions et discriminations au sein de l’École doctorale de l’Université de la ville de New York (CUNY Graduate Center). S’il porte la trace des débats de la philosophie politique de la fin du XXe siècle, Le Contrat Racial est un texte critique bien davantage qu’un texte normatif. De ses influences marxistes, Mills conserve l’idée que l’histoire et les coordonnées qu’elle nous impose méritent d’être pensées avant les principes abstraits ou les vérités qu’on voudrait éternelles. En ce sens, l’histoire se manifeste sous la forme de rapports de force, où pouvoir, richesse et influence sont inégalement répartis. Une longue lignée de penseurs et de penseuses anticoloniaux noirs dans les Amériques a soulevé la question du pouvoir et des mécanismes de la domination. L’un de ses principaux initiateurs est certainement le Baron de Vastey qui, dans le Royaume d’Haïti du début du XIXe siècle, analysait le colonialisme comme une « suprématie de l’espèce blanche ». Cette tradition radicale noire se poursuit avec, au XXe siècle, des figures comme Malcolm X, Assata Shakur ou encore Frantz Fanon. L’un des principaux mérites du travail de Mills est d’avoir ouvert la porte de la conversation académique à ces réflexions stratégiques et ces analyses politiques généralement considérées avec dédain par les philosophes professionnels. Le Contrat Racial est un effort pour comprendre l’omniprésence et l’influence du racisme, qu’il qualifie aussi de suprématie blanche globale, comme un système politique hiérarchique aux multiples facettes, influant sur la distribution des richesses, des opportunités, de la qualité de vie et d’autres aspects de l’existence. Afin de traduire ces idées à l’usage d’un auditoire hostile (aux États-Unis, la philosophie est l’une des disciplines où les Noirs sont les plus sous-représentés), Mills détourne la notion bien connue de « contrat social ». Cette notion désigne, depuis Jean-Jacques Rousseau, un accord primordial fictif, fondateur de la société, au moyen duquel chacun « met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout ». Par-là, en somme, chaque personne reconnait l’existence de la société et consent à vivre en société. Pour Mills, au regard de l’histoire, un tel contrat doit également être compris comme un contrat racial où la société en question est une société blanche. Il est impossible d’abstraire la théorie du contexte esclavagiste, colonialiste ou raciste où elle est formulée et où nous la recevons. La notion de contrat racial vise à décrire l’envers ou plus exactement la logique sous-jacente au contrat social à laquelle les philosophes européens sont demeurés aveugles. Pour Mills, les philosophies du contrat social sont fondées sur le présupposé que ses bénéficiaires sont blancs ; les autres n’entrent pas en ligne de compte. Au moment où Rousseau élabore sa philosophie politique, le Code Noir qui régit l’esclavagisme négrier est en vigueur depuis trois-quarts de siècle. Pourtant, le seul esclavage dont parlent ses écrits est celui, tout métaphorique, qui soumet les sujets européens à la volonté d’un monarque. La philosophie de l’émancipation n’a pas été pensée pour la libération des esclaves et des colonisés ; elle envisage des Blancs pour seuls bénéficiaires possibles. L’exemple du Code Noir, mais il y en aurait d’autres, montre que si la notion de contrat social relève de la fiction théorique et ne se réfère à aucun acte législatif établi dans l’histoire, les manifestations du contrat racial sont pour leur part tout à fait concrètes, répétées et explicites. Dans de nombreux contextes, de nombreuses disciplines, savants et politiques, religieux et juristes, se sont rassemblés pour établir la différence fondamentale entre les Européens et les autres – entre les Blancs et le reste. Le droit des étrangers que les citoyens européens ont appris à tenir pour allant de soi n’est qu’un avatar contemporain du contrat racial. Pour Mills, il se déploie à trois niveaux complémentaires et entrelacés. Le premier niveau est politiqueet désigne un accord sur les origines de l’État qui implique toujours une fondation coloniale. Elle peut prendre la forme d’un colonialisme de peuplement (comme les États des Amériques, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande par exemple) ou d’une domination et d’une exploitation coloniale de type impérial justifiée par une mission civilisatrice (comme en France, au Royaume-Uni, en Belgique, etc.). Le second niveau est moral et concerne un accord sur les principes éthiques fondamentaux de la société. Sa logique sous-jacente repose sur une distinction entre les Blancs, considérées comme des personnes, et les autres, relégués au statut de non-personnes. Si les principes généreux inscrits dans la Déclaration d’Indépendance américaine ou les constitutions des États modernes semblent incarner des principes universels de justice, c’est qu’ils laissent dans l’ombre qu’ils visent à bénéficier aux seules « personnes » pleinement reconnues comme telles. Le dernier niveau est épistémologique, c’est-à-dire lié à la connaissance, et désigne un accord tacite pour garantir la mécompréhension des questions raciales dans la société. Les non-personnes exclues des bénéfices du contrat racial sont ainsi caricaturées, tenues pour irrationnelles et assimilées à des images fantasmatiques, ce qui légitime leur position subordonnée. Le contrat racial implique ainsi une ignorance blanche qui maquille un ordre injuste en nécessité due aux incapacités des sujets non blancs. Malgré la sévérité de ses critiques de la tradition politique occidentale, Mills a toujours cherché un terrain d’entente entre la tradition radicale noire et la modernité libérale européenne. Le Contrat Racial se conclut comme un plaidoyer pour un renouveau des Lumières et son dernier ouvrage paru, Black Rights/White Wrongs ambitionnait de reformuler le projet du libéralisme politique sur des bases plus égalitaires. Mills est un auteur complexe qui nous enseigne que la question raciale n’est pas un problème marginal mais un nœud à partir duquel l’ensemble de la tradition philosophique peut être lue à nouveaux frais. Souhaitons que la traduction de son ouvrage phare rencontre en France l’accueil qu’elle mérite et irrigue des débats théoriques sur la suprématie blanche trop souvent hâtifs et mal informés. Article original : https://www.philomag.com/articles/pourquoi-il-faut-lire-le-contrat-racial-de-mills-par-norman-ajari
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CHAPITRE VI
BICAMÉRALISME De l'étude de notre passé, nous pouvons tirer une leçon de gouvernement. Le régime matriarcal aidant, nos ancêtres, antérieurement à toute influence étrangère, avaient fait à la femme une place de choix. Ils voyaient en elle, non la courtisane, mais la mère de famille. Ceci est vrai depuis l'Egypte pharaonique jusqu'à nos jours (13). Aussi, les femmes participaient-elles à la direction des affaires publiques dans le cadre d'une assemblée féminine, siégeant à part, mais jouissant de prérogatives analogues à celles de l'assemblée des hommes (14). Ces faits sont demeurés sans changement jusqu'à la conquête coloniale, en particulier dans les Etats non islamisés yoruba et dahoméen. La résistance militaire de Béhanzin à l'armée française, commandée par le colonel Dodds, serait la conséquence d'une décision de l'assemblée des femmes du royaume, qui s'est réunie la nuit, après celle des hommes réunie le jour, et qui, à l'inverse de cette dernière, avait choisi l'ordre de mobilisation et la guerre. La décision fut ratifiée par les hommes. Il existait donc, en Afrique Noire, un bicaméralisme spécifique reposant sur la dualité des sexes. Loin d'entraver la vie nationale et d'opposer les hommes et les femmes, il garantissait l’épanouissement de tous. C'est à l'honneur de nos ancêtres d'avoir su créer un tel type de démocratie. Partout où nous la trouvons jusqu'à l'époque égéenne, l'influence nègre méridionale est indéniable En la restaurant sous une forme moderne, nous restons fidèles au passé démocratique et profondément humain de nos aïeux; une fois pour toutes, nous décontractons la société humaine en la libérant d'une contradiction latente et millénaire; nous pourrions inspirer, à n'en pas douter, les autres pays dans leurs méthodes de gestion des affaires publiques. Restaurer ce bicaméralisme de nos aïeux sur une base moderne consiste, pour nous, à trouver, ensemble, avec les femmes, à l'exclusion de tout esprit démagogique, un mode de représentation vraiment efficace de l'élément féminin de la nation. De telles réformes permettent de normaliser le rôle politique de la femme, de restituer à celle-ci sa dignité de mère de famille, de réaliser une fois pour toutes, de la seule manière efficace, valable, ce qu'on appelle dans tous les pays du monde la « promotion de la femme ». 13. Cf. L'Unité culturelle de l'Afrique Noire (Matriarcat). 14. Au Sénégal un homme qui gouverne selon la coutume est appelé dans certains cas N’Deye Di Rêv (la mère du pays) et cela ne choque personne. Cette fonction coutumière existe encore chez les Lébous. Cheikh Anta Diop, « Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire. » |
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