Les élections Européennes à l’issue desquelles sont élus les députés du parlement européen ont eu lieu le 9 juin dernier. Elles sont généralement boudées par l’électorat français, qui est l’un des plus abstentionnistes de la région, preuve indéniable de la déconnexion entre ce peuple et ses institutions. Le résultat(i) fut sans appel : Plus de 30% pour le principal parti d’extrême droite français, le Rassemblement National (et environ 10% de plus pour les divers mouvement de droite conservatrice et nationaliste) contre moins de 15% pour le parti du gouvernement en place et moins de 25% en tout pour les deux listes de gauche présentées (presque tous les partis de l’ancienne coalition d’opposition de gauche ont présenté leur propre liste aux élections européennes). Bien qu’il était tout-à-fait habituel en France, lors des IIIe et IVe République pour le président de dissoudre l’assemblée(ii) après une défaite électorale ou pour tenter de résoudre un blocage politique, les dissolutions sont devenues plus rares depuis l’avènement de la Ve République(seulement 5 en 60 ans) et jamais après un scrutin européen. C’est dans la surprise générale qu’Emmanuel Macron annonce la dissolution de l’assemblée nationale après les résultats du scrutin européen. Cet évènement a réussi à éclipser totalement les crises qui menacent l’impérialisme français notamment : - Un mouvement propalestinien toujours grandissant faisant trembler les fondements d’un sionisme d’État longtemps bien ancré(iii) - La révolte en cours en Kanaky (nouvelle Calédonie) où la population lutte contre le “dégel” du corps électoral(iv). Une réforme constitutionnelle qui aura pour effet direct la perte de pouvoir politique sur les institutions locales. Un pouvoir obtenu par les natifs via la lutte(v). Les éléments les plus marquants de cette actualité sont les assassinats commis par des miliciens colons et l’arrestation et la déportation vers la métropole de responsables politiques Kanak(vi). - Un mouvement populaire de remise en question totale de l’influence Française en Afrique de l’Ouest cristallisé par des coups d’États militaires et la formation de l’AES au Niger, Mali et Burkina Faso et l’élection au Sénégal de Bassirou Diomaye Faye(vii) après une campagne sur une ligne clairement anti-néocoloniale. Même si ces crises ont relativement disparu de la scène médiatique française au profit de la campagne électorale, elles sont toujours en cours. En tant que panafricains et internationalistes, il nous incombe donc d’analyser cette situation d’élections qui annonce la potentielle prise de pouvoir d’un parti fasciste depuis ces situations de contestation de l’empire français dans ses colonies, ses néo-colonies mais aussi depuis le point de vue des intérêts des populations africaines diasporiques résident en France. 1.L’extrême-droite Française et l’Afrique La genèse: le Front National, le parti de la contre-révolution anticoloniale. Spontanément, le nationalisme d’extrême droite en France semble être une histoire strictement domestique, une histoire de repli communautaire Blanc et souverainiste. En effet, la propagande du Rassemblement National (ou RN, le principal parti d’extrême droite en France) fait la part belle à un nationalisme étroit prônant l’indépendance face à l’Europe et des politiques anti-migratoires. L’histoire du parti est en revanche bien plus liée à l’Afrique qu’il n’y paraît. Je m’explique : dans sa fondation, le rassemblement national cumule un double héritage, celui de la collaboration avec l’occupant Nazi du régime de Vichy sous le maréchal Pétain, durant la seconde guerre mondiale et celui de la colonisation française en Afrique. On compte donc parmi ses membres fondateurs d’anciens Waffen-SS comme Pierre Bousquet(viii), ou d’anciens membres de la Milice Française, une milice supplétive de la Gestapo dont l’objectif était de participer à la répression de la résistance, comme François Brigneau. L’on y trouvait également d’ancien membres de l’armée coloniale française ayant participé activement et personnellement à la répression et à la torture de militants Algériens pendant la guerre de libération (dont Jean-Marie Le Pen, parent de la présidente actuelle du parti), d’anciens miliciens de l’OAS (une organisation terroriste coloniale qui assassinat de nombreux algériens pendant la lutte pour l’indépendance) ainsi que des membres d’Ordre Nouveau et d’Occident (une organisation de jeunesse, proche parente de l’OAS qui s’illustra notamment par son anticommunisme violent). Le Front National, aujourd’hui rebaptisé RN est né dans un contexte particulier qui n’est pas sans rappeler celui d’aujourd’hui. La France d’après-guerre a traversé une période marquée par la perte d’une grande partie de ses colonies africaines (et asiatiques). Battue en Indochine et en Algérie, contestée en Guinée Conakry (par Ahmed Sékou Touré) et au Mali (de Modibo Keita) elle opère, contrainte par la volonté des peuples en lutte, une transition vers le néo-colonialisme en Afrique et une consolidation structurelle de ses quelques colonies restantes (qui perdent le nom de colonies pour bientôt devenir départements et territoires d’Outre-mer). Comme ailleurs en Europe, l’affaiblissement de l’empire a des répercussions importantes sur la métropole et induit des reconfigurations importantes du champ politique. Cela est souvent illustré lorsque l’on étudie ce phénomène par le cas portugais(ix) et la révolution qui suivit les guerres d’indépendance du Mozambique et d’Angola, mais la causalité entre les défaites françaises en Afrique et en Asie sont peu citées ou alors minimisées, lorsqu’il s’agit d’analyser les événements de Mai 1968, on préfère souvent une lecture plus eurocentrée de cette période, perçue comme une manifestation spontanée de l’esprit subversif et révolutionnaire “à la française”. La réalité est pourtant tout autre et cette contestation de l’ordre politique français commence bien dans le mouvement anticolonial africain, antillais et indochinois d’après-guerre, bien avant 1968. Cet évènement n’est, du point de vue Africain, qu’un écho de la crise de l’impérialisme français causé par les luttes de nos prédécesseurs. La fondation du FN en 1972 est donc en effet à la fois l’expression de la nostalgie de la domination coloniale sur l’Afrique (la nostalgie de l’Algérie française opérant comme un véritable liant entre les membres fondateurs qui ont largement participé à soutenir la cause du maintien de la domination française en Algérie), la manifestation de la survivance du racisme politique de la France de Vichy et la structuration d’un mouvement anti-communiste et contre-révolutionnaire qui répond directement à la contestation populaire des années 60 qui progresse parallèlement aux mouvements anticoloniaux et dont Mai 68 est le paroxysme. Le souverainisme impérial : les conséquences Africaines d’une politique d’extrême droite Française. Compte tenu de cette histoire, il serait dangereux de prendre au sérieux l’air isolationniste du Rassemblement National et de l’extrême droite Française en général. Dans les faits, l’idéologie d’extrême droite est déjà majoritaire parmi l’armée française qui a encore des troupes déployées sur le continent et il est important de le souligner pour mieux comprendre le rejet dont celle-ci fait l’objet de la part des populations africaines. Le nationalisme racialiste, si cher aux idéologues africanistes comme Lugan, fut hégémonique pendant l’expansion coloniale en particulier à la fin du XIXème siècle, fut central dans la constitution de la culture politique de l’armée française. En cela, l’affinité idéologique entre une partie de l’armée française et l’extrême droite est évidente. Elle est aussi populaire parmi les français de l’étranger bien que, du fait des binationaux africains vivant dans leur pays d’origine, le vote de droite y soit moins fort que dans d’autres destinations prisées par les expatriés français. Ceux-ci demeurent très présents dans les capitales commerciales d’Afrique dite francophone où le parti a un très bon réseau. Marion Maréchal, l’une des héritières du clan Le Pen, a d’ailleurs passé plusieurs années en Côte d’Ivoire où elle rejoint son père marié l’une des descendantes de Félix Houphouët-Boigny. Les réseaux africains du RN restent néanmoins faibles dans la classe politique africaine. Il faut cependant souligner que la montée de la xénophobie en Europe ayant déjà fait son chemin vers l'institutionnalisation, elle a déjà des effets au niveau de sa politique africaine. La France participe ainsi activement à la répression violente de la migration en soutenant des programmes européens et français de délocalisation du travail de contrôle et de militarisation des frontières à travers notamment des accords avec les gouvernements Africains du Nord(x) ce qui a de lourdes conséquences sur les tensions et les violences raciales dans ces pays. Je fais référence ici au lynchage et au harcèlement fréquents des Noirs en Tunisie par des bandes de négrophobes galvanisées et enhardies depuis le discours raciste du président Kaïs Saïed(xi), aux massacres opérés par les forces armées marocaines qui ont lieu près des enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta(xii), ou encore au fait que les polices algérienne et tunisienne arrêtent souvent des Africains noirs et les relâchent dans le désert sans eau ni nourriture, les condamnant ainsi à mourir de faim et de soif(xiii). Ce phénomène entrave aussi la perspective de l’union continentale qui ne pourrait se faire qu’en luttant contre cette diplomatie néocoloniale tragique qui participe à la balkanisation du continent. Il va sans dire que l’accession au pouvoir de partis dont une grande partie du programme tourne autour de la lutte contre l’immigration ne pourra qu’empirer cette situation augmentant de ce fait le décompte macabre des doubles victimes africaines de l’impérialisme occidental : déplacés car fuyant des conflits ou des situations résultants de l’oppression (néo)coloniale, morts sous les balles des sous-traitants africains du travail au frontières européen ou noyés dans la méditerranée. Les forces politiques européennes sont d’ores et déjà empreintes d’une peur paranoïaque malthusienne concernant la possibilité d’un “péril Noir” migratoire et écologique(xiv). Il se tient régulièrement en Europe des conférences sur la dite “crise migratoire africaine” ou “l’explosion démographique africaine” dans laquelle les idéologues et “experts” d’extrême droite sont sur-représentés. Le 25 Juin lors du débat de campagne le plus important des élections législatives, ce point fut encore une fois évoqué par le représentant de l’extrême droite J. Bardella. De façon tout à fait analogue aux conséquences de l’idée d’un “péril jaune”, cette omniprésence des éléments rhétoriques du “péril noir” migratoire pourrait renforcer et accélérer l’émergence d’une diplomatie malthusienne antinataliste en Afrique à l’instar de celles qui ont contraint par chantage l’Inde et la Chine notamment à l’adoption de politiques de contrôle des naissances extrêmement strictes et autoritaires. L’un des thèmes phares du RN est celui de la souveraineté, or, sous plusieurs aspects (énergétique, alimentaire, minier), la France reste dépendante. Il est assez possible donc qu’une France sous gouvernement d’extrême droite doive accroître sa prédation économique sur ces pays africains considérés historiquement comme son pré-carré afin de s’autonomiser des autres puissances mondiales. À vrai dire, cette dépendance parasitaire impérialiste pourrait bien être l'une des causes mêmes de cette résurgence du nationalisme en France en particulier, et en Occident en général. Le réflexe colonial? Une analyse Nkrumahiste de la montée de l’extrême-droite en France Plutôt que les thèses sur le populisme et les affects(xv), populaires chez les gauches occidentales, on trouve chez Kwame Nkrumah(xvi) une analyse anticoloniale des fluctuations du système politique des métropoles coloniales, développée en approfondissant la réflexion de Lénine sur les relations parasitaires entre les impérialistes et leurs dépendances. Selon son analyse, dans une société capitaliste, le fascisme est une manifestation autoritaire et chauvine du capital (la démocratie à son minimum) qui se traduit à l’extérieur par des formes plus ‘crues’ de prédation. Au XXème siècle, sous la pression des mouvements syndicaux à l’intérieur et des mouvements anticoloniaux à l’extérieur, la transition s’impose vers les réformes instaurant l’État-providence (démocratie bourgeoise à son maximum) à l’intérieur et le néocolonialisme à l’extérieur dont les hauts profits taxés permettent de financer en partie l’État-providence. La destruction des acquis sociaux en cours et la contestation forte du néo-colonialisme en Afrique pourraient donc expliquer une régression politique vers le fascisme colonial qui a construit la puissance impériale française et financé l’état d'opulence tant regretté par les plus nostalgiques du “bon temps des colonies”. Ce sont ces Français qui constituent le gros des électeurs et des politiciens d’extrême-droite. Cette analyse pourtant absente de la majorité des analyses sur la montée de l’extrême droite française revêt d’autant plus de pertinence pour nous que l’on s’intéresse à qui, parmi les capitalistes, sont les plus grands soutiens de l’extrême droite française.
Dans la contestation africaine du néocolonialisme, le peuple a très vite reconnu Vincent Bolloré comme l’un de ses ennemis(xvii). Omniprésentes dans la vie des africains, et particulièrement dans les domaines logistique, médiatique, culturel, agricole et des télécommunications, les entreprises du groupe Bolloré illustrent la domination tout-à-fait palpable du capital français sur ses ex-colonies. D’ailleurs, c’est sur les médias du groupe Bolloré que se fait en France une grande partie de la propagande politique chauvine et raciste(xviii). On comprend donc ici que si le capital dont les intérêts africains sont menacés par la contestation populaire choisit d’investir et soutenir idéologiquement l’extrême-droite c’est bien par conviction de la capacité de celle-ci à le défendre, et ce, de façon plus agressive peut-être que les franges libérales du champ politique français. Cette orientation politique des médias du grand capital français impacte fortement la représentation des peuples colonisés vivant dans les territoires d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie encore occupés par l'État colonial français ainsi que sur celle des populations Afro-diasporiques présentes en métropoles. Elle affecte tout particulièrement la perception que le reste des français ont des nôtres et de nos luttes. Intéressons-nous donc à présent plus particulièrement aux liens qu’entretiennent l’extrême-droite avec nos frères et soeurs vivant l’occupation coloniale, leurs terres et les luttes menées pour les libérer. 2.L’extrême droite française et les colonies d’Outre-Mer(xix) Le succès du RN dans les colonies, symptôme d’un mal colonial. Il est établi que parmi les colons, le nationalisme d’extrême droite est historiquement majoritaire, c’est toujours le cas aujourd’hui. Mais on observe également chez les populations colonisées une augmentation du vote d’extrême-droite. Il faut aussi accuser certains phénomènes qui viennent troubler la conscience de ces populations et remettre en question les idées préconçues sur le vote dans les colonies françaises. On peut citer d’une part le statut de « frontière de l’empire » : situées sur d’autres continents, dans d’autres régions du monde, la présence d’enclaves coloniales à la monnaie forte et aux infrastructures plus développées (relativement à la région) engendre nécessairement des dynamiques migratoires particulières, mais analogues aux mouvements migratoires “nord-sud” observés ailleurs dans le monde. La forte proximité culturelle entre ces populations voisines facilite d’autant plus la migration économique. Dans ces territoires les infrastructures restent en deçà des standards de la métropole, le chômage y est bien plus élevé et le coût de la vie d’autant plus cher que les bourgeoisies compradores locales et le capital français s’accorde pour y développer peu d’industrie et y encourager une importation extrêmement profitable pour eux et coûteuse pour la population qui vit dans une situation de pauvreté permanente. Cette tension sociale est capitalisée par l’extrême droite qui y encourage un chauvinisme xénophobe et fratricide qui affaiblit la conscience nationale des peuples occupés et réoriente la tension sociale anticoloniale vers une rancoeur concurrentielle malsaine envers des immigrés avec qui ils partagent presque tout au niveau culturel, historique ou linguistique. Cette situation est très marquée sur l’île de Mayotte appartenant aux Comores(xx), occupée illégalement par la France qui pousse l’affront jusqu’à l’intégration officielle dans le territoire Français via le processus de départementalisation, repoussant, éloignant toujours plus le peuple comorien de la perspective d’une réunification de l’archipel des Comores. Bien qu’il soit très particulièrement exacerbé à Mayotte, ce phénomène xénophobe fratricide est aussi observable aussi en Guyane ou en Guadeloupe. Aussi ce contexte permet à la droite française de recruter allègrement parmi les plus chauvins des bourgeois et aspirants bourgeois de ces pays afin de donner à leur nationalisme fasciste une « couleur locale ». Dans ces territoires, pendant les épidémies successives de COVID-19, la méfiance légitime envers l’État français a atteint son pic. L’État français, en plus de ne pas remplir son contrat colonial d’accès aux soins des populations (couverture médicale du territoire faible, racisme dans les institutions hospitalières, infrastructures sous-équipées en pénurie de personnel etc…) a aussi participé et couvert un scandale sanitaire en obtenant une dérogation à l’interdiction européenne du chlordécone dans l’agriculture entre 1990 et 1993 et en cachant les conséquences sur le long terme de ce produit pourtant reconnu comme dangereux par les autorités sanitaires internationale depuis 1979. L’emploi massif de ce produit entre 1972 et 1993 eut pour effet l’empoisonnement à long terme des terres et de la population de la Guadeloupe et de la Martinique pour le profits des grands planteurs (souvent blancs) du secteur de la banane(xxi). La population souffre et souffrira encore longtemps de ce crime environnemental et sanitaire qui repousse là aussi la perspective de l’indépendance et de la nécessaire autonomie alimentaire qu’elle nécessite. Cette méfiance justifiée des institutions de santé et de la France s’est manifestée à travers un mouvement anti-vax teinté fortement d’anticolonialisme(xxii) qui a malheureusement créé une porosité idéologique au complotisme en général. Un complotisme idéologiquement situé dans la proximité des théories d’extrême-droite qui a eu un effet délétère sur la politisation de nos frères et soeurs. La position anti-vax, incarnée politiquement par l’extrême droite en France, est devenue la priorité politique de nombre des nôtres ce qui a pu influencer certains dans leur choix du bulletin d’extrême-droite. Le nationalisme colonial et le nationalisme anticolonial, une clarification par l’histoire. D’autres peuvent, à tort, penser que le nationalisme français puisse être compatible avec le nationalisme anticolonial, que d’une certaine manière, la focalisation faite par l’extrême droite sur l’identité des peuples et leurs différences engendrerait une sorte de bienveillance envers les revendications nationales des peuples colonisés. C’est un erreur d’appréciation commune largement instrumentalisée par le RN. Comme évoqué précédemment, le RN fut fondé par des personnes qui ont combattu pour garder l’Algérie sous domination coloniale, mais aussi par d’anciens Pétainistes (Pétain étant le chef d’État de la collaboration française au nazisme). Et c’est un fait important au vu de l’histoire de territoires comme la Martinique ou la Guadeloupe ou l’amiral Robert pour la Martinique et Georges Sorin pour la Guadeloupe ont capitulé durant la seconde guerre mondiale et se sont joints au gouvernement de Vichy imposant sur place une terreur et une pénurie qui marqua les esprits pendant des générations(xxiii). C’est d’ailleurs sous l’amiral Robert que Frantz Fanon quitta la Martinique vers l’île de la Dominique voisine pour y rejoindre la résistance en exil(xxiv), un évènement initiant le début de sa trajectoire de militant et théoricien révolutionnaire. On peut aussi s’intéresser une autre expérience de confrontation entre les défenseurs du nationalisme colonial et celui des populations colonisées des Antilles qui en 1959, fera s’embraser l’île de la Martinique, déjà tendue par les luttes des dockers(xxv). En effet, l’État français à relocaliser des centaines de colons, inquiétés par la lutte de libération algérienne, vers d’autres colonies, aux Antilles, à la Réunion, en Polynésie et en Kanaky. Ces colons issus du même terreau idéologique que celui des membres fondateurs du RN, amènent avec eux une pratique d’humiliation et de violence raciste longtemps pratiquée en Algérie occupée. Lors d’une altercation routière, un colon français fraîchement arrivé d’Afrique du nord frappe et insulte un Afro-Martiniquais. Cet événement déclencha de grandes émeutes chez une population Martiniquaise qui à l’époque s'identifie bien plus fortement qu’aujourd’hui aux luttes des peuples d’Afrique et d’Asie pour l’indépendance. Ce genre de confrontations permet d’identifier plus clairement les antagonismes entre un nationalisme colonial violent et un nationalisme anticolonial. Même si déjà dans les années 30 existait au sein de la petite-bourgeoisie Antillaise une forme de nationalisme républicain apologiste du colonialisme incarnée par des personnalités comme Paulette Nardal(xxvi) dont les Antillais militants de droite républicaine et d’extrême droite sont les dignes héritiers. On l’a dit plus avant, le vote d’extrême droite est très largement majoritaire chez les forces de police et de l’armée, très présentes dans l’ensemble des colonies françaises d’Outre-mer. Ces mêmes forces employées dans la répression des mouvements syndicaux et indépendantistes qui émaillent l’histoire des peuples colonisés par la France aujourd’hui. On a toujours en tête les massacres comme celui qui eut lieu en Mai 1967 à la Guadeloupe(xxvii) et aujourd’hui la violence exercée de concert par la police militarisée et les milices civiles de colons en Kanaky pour réprimer la lutte du peuple Kanak pour l’indépendance. L’extrême droite Française, c’est historiquement la défense de la violence policière débridée, une culture de violence directement importée des colonies. Penser que le parti majoritaire chez les policiers, proche du principal syndicat de police, puisse avoir une quelconque bienveillance pour les populations des colonies est une erreur d’appréciation dangereuse. La réalité historique est pourtant claire : le nationalisme européen est prédateur et colonial, le nationalisme du colonisé est émancipateur et internationaliste. Ce parti ne répondra jamais que par la force à la rue, aux revendications sociales et politiques des peuples colonisés de l’océan Indien africain (la Réunion, Mayotte…), des caraïbes occupées, de Guyane et d’Océanie (Polynésie, Kanaky etc...) comme à celles des populations africaines diasporiques résidant en France. Discutons donc du sort de ces dernières relativement à la perspective d’une extrême-droite au pouvoir. 3.L’extrême droite et les Africains en France Les migrations post-coloniales africaines, entre exploitation et oppression. Les populations africaines en France sont issues de plusieurs migrations. Une issue d’Amérique (continent), car la France y a colonisé énormément de territoires et y a réduit une importante population africaine déportée, à l’esclavage. Devenus sujets coloniaux après l’abolition, c’est sur eux que seront mis en pratique les outils politiques, judiciaires et policiers de la longue tradition d’oppression et d’exploitation coloniale utilisés dans les multiples colonies africaines acquises au long du XIXème siècle(xxviii). De ses colonies Américaines elle a gardé la Guyane et quelques îles aux Caraïbes dont la Guadeloupe et la Martinique, et c’est de là que quelques décennies plus tard, au XXème Siècle, une politique de migration (similaire à celles dudit “Wind rush” en Angleterre) organise la migration massive de Caribéens, Guyanais et de Réunionnais vers la métropole afin d’y occuper des emplois peu qualifiés(xxix) mais aussi pour affaiblir durablement la revendication indépendantiste qui allaient toujours grandissante, renforcée par les victoires héroïques des peuples Algérien et Indochinois (entre autres). Celle aussi d’Africains continentaux, issue de ses nombreuses anciennes colonies d’Afrique du Nord, de l’Ouest et Centrale, une migration qui s’est accélérée durant la 2nde moitié du 20ème siècle pour répondre aux besoin de main-d’oeuvre de l’économie française(xxx). On estime aujourd’hui qu’un Français sur dix soit (en partie) d’ascendance africaine. Depuis quelques années, les déstabilisations causées par les guerres impérialistes (Afghanistan, Syrie, Libye) ou les conflits alimentés par des intérêts extérieurs (comme au Soudan ou au Congo) ont changé les routes de migration et l’origine de ceux qui migrent vers l’Europe occidentale dont la France. L’immigration vers la France reste un phénomène mineur, l’essentiel des migrations africaines se faisant vers d’autres pays du continent(xxxi). Pseudo-fascisme néo-libéral : le racisme systémique dans l'État néo-libéral Les gouvernements libéraux, mus par leur ambition électoraliste, n'ont cessé faire concurrence à l’extrême droite en durcissant les lois sur l’immigration, réforme après réforme. Ils ont aussi réformé les systèmes de santé, de chômage et d’éducation impactant fortement la vie des populations des diasporas africaines. Une communauté maintenue dans la précarité, l’exploitation et la pauvreté par une société dont les effets du racisme s’expriment principalement dans les domaines du travail, de l’éducation et de la santé. Un racisme systémique que les quelques récits individuels d’ascension sociale et d’intégration à la bourgeoisie blanche ne sauraient faire oublier. L’accession au pouvoir de l’extrême droite entraînerait nécessairement l’aggravation et l’accélération de ces processus de réformes en y intégrant un paramètre : celui de la « préférence nationale ». Bien qu’anticonstitutionnelle (donc difficile à mettre en place), elle constitue l’institutionnalisation de la discrimination raciale en discriminant l’accès aux service public selon la nationalité. Les affaires Adama en 2016, puis Théo en 2017 ont fait découvrir au monde la réalité du harcèlement et de la violence dont sont victimes les jeunes hommes et garçons africains en France. Les cas de meurtres policiers récurrents en France illustrent une tradition et une tendance lourde chez les policiers héritée de la violence coloniale. Au lendemain des indépendances, nombre d’anciens fonctionnaires et miliciens des colonies sont intégrés aux forces de police française, important avec eux une pratique de la torture et du harcèlement racial policiers qui caractérisait la domination coloniale(xxxii). Cette transmission des pratiques et de l’idéologie racistes et coloniales se traduit aussi bien dans les interactions avec les populations issues de ces anciennes colonies que dans les manifestations politiques et syndicales de la police et de la gendarmerie (équivalent de la garde nationale américaine, force de police militaire). Tout comme les syndicats de police états-uniens, le principal syndicat de police en France nommé « Alliance » est très proche idéologiquement de l’extrême droite et du Rassemblement National en particulier. En observant le soutien systématique des représentants du RN même, et surtout, pendant les période de protestation faisant suite à des meurtres policiers (comme celui de Nahel il y a un an, en Juin 2023, assassiné par balle par un policier), on peut difficilement nier le fait que leur accession au pouvoir viendrait débrider l’action et les moyens de la police et lui garantir l’impunité dans l’exercice de la violence raciste envers les africains et ce qu’ils soient immigrés ou enfants d’immigrés, en lutte ou non. En vérité, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, la montée du fascisme en France transparaît déjà dans la politique exercée par l’exécutif français. De gauche ou de droite, les gouvernements libéraux français ont mené une politique qui promeut à la fois des progrès symboliques à certaines minorités (notamment au niveau de l’expression d’un certain féminisme d’État ou encore sur les question LGBT, bien que de façon très superficielle) tandis que ses réformes économiques néolibérales paupérisent la majorité de la population et confinent les minorités africaines dans une précarité et une pauvreté toujours croissantes. Au cours des 3 dernières décennies, les partis de « gouvernement » (centre droit et gauche) ont utilisé l’extrême droite comme un épouvantail, un danger dont seul eux peuvent protéger la France. Parce qu’engagé dans un jeu concurrentiel à but électoral avec l’extrême-droite consistant à imiter et appliquer leur programme politique raciste, ils ont largement achevé d’en normaliser le projet fasciste. L’arrivée aux portes du pouvoir de l’extrême-droite en France est donc le résultat à la fois de la normalisation de la politique raciste de l’extrême droite par l’establishment libéral, de l’appauvrissement et de la précarisation d’un part de plus en plus importante de la population du groupe majoritaire blanc et de la perte de puissance internationale de la France contestée dans ses colonies comme dans son aire d’influence néocoloniale. Face à ses 3 facteurs, le peuple français ne semble malheureusement pas favoriser l’option révolutionnaire comme ce fut le cas (assez rarement) chez d’autres peuples européens par le passé. Au contraire, ils semblent s’orienter vers l’option du fascisme. Que faire? Dans cette situation, nos objectifs panafricains restent inchangés : le combat pour la libération des peuples colonisés, la lutte pour défaire définitivement l’impérialisme et le néocolonialisme et le travail d’unification totale du continent. Ces objectifs supérieurs sont une boussole mais ne doivent pas être une excuse pour nous détourner de nos responsabilités concernant la défense de la vie et des intérêts politiques des Africains, qu’ils soient sur le continent, exilés ou enfants d’africains déplacés. Considérant ce principe fondamental du panafricanisme, l’apathie n’est pas de mise, elle est même condamnable. Et bien que d’un point de vue africain, la tendance profonde au fascisme soit observable depuis longtemps sur le continent(xxxiii), il ne faut pas sous-estimer les conséquences d’un retour des forces fascistes à la tête de l'État Français. Pour y faire face, il ne s’agit pas de signer un blanc sein à la gauche française, ni même de participer activement à construire son hégémonie, car il est clair qu’en l’état celle-ci ne fait pas aujourd’hui grand cas de nos intérêts et nos combats : aucune mention du racisme négrophobe spécifique dont sont victimes la partie noire des populations africaines en France, pas d’expression claire d’une position favorable à l’indépendance pour les îles colonisées d’Afrique et des Caraïbes et rien concernant une réorientation totale de la politique africaine dans son programme(xxxiv). Il s’agit plutôt de réinvestir très sérieusement la question du pouvoir; au niveau international d’abord, car l’une des opportunités qu’offre l’émergence d’un panafricanisme au pouvoir dans nos pays est celle d’une diplomatie de défense des Africains du monde et leurs enfants. Mais aussi au niveau local où se constituer comme force politique active permet d’exercer une pression politique sur les forces en présence afin de défendre au mieux la vie des travailleurs africains et leurs familles. Quelle que soit l’issue de ces élections, l’urgence du renforcement d’un panafricanisme politique (c’est à dire centré sur la lutte pour le pouvoir et l’expression de celui de nos communauté) plutôt que culturel et symbolique se fait plus que jamais sentir pour les populations africaines continentales et diasporiques. Ce panafricanisme, dans un contexte néolibéral où les populations africaines sont tout particulièrement exploitées, ne peut faire l’économie d’une analyse de classe sérieuse, renouant ainsi avec son héritage Panafricain historiquement socialiste, dont beaucoup célèbrent les figures tout en ignorant l’orientation politique. Il faut prendre au sérieux la possibilité du fascisme, en ce qu’elle constitue une réaction politique contre-révolutionnaire à nos luttes et au changement d’équilibre politique mondial, qui progresse et s’impose à travers l’occident et les minorités blanches du Sud (État sioniste, Afrique du Sud, Brésil etc…). Cela implique de s’organiser politiquement pour lui résister en construisant un panafricanisme populaire et un front antifasciste internationaliste, seuls capables de garantir le salut et la protection des Africains “at home and abroad” ainsi que de garantir la libération définitive des peuples frères colonisés en lutte en Afrique, dans les Amériques, en Asie Occidentale et en Océanie. Cette urgence est déjà prise au sérieux par nos ennemis(xxxv) qui, sous la présidence de Macron, se sont armée d’une loi « contre le séparatisme » dont l’objectif était de brider et censurer la politisation des espaces communautaires musulmans (majoritairement africains en France), ouvrant ainsi légalement la voie à la censure et l’interdiction des mouvements politiques panafricains en France. De par sa composition et son contexte historique, le destin de la population africaine en France est lié à celui des siens en Afrique, aux Caraïbes et ailleurs, et face à une France qui clarifie chaque jour davantage son retour vers le nationalisme, elle se retrouve encore enjointe à relever le défi générationnel posé par Frantz Fanon, celui de “découvrir sa mission, la réaliser ou la trahir”. 27 juin 2024 Kossi « Ayomide » Paul Militant Panafricain au sein du Parti Révolutionnaire de Tous les Peuples Africains et membre de la Question Noire. i: https://www.archives-resultats-elections.interieur.gouv.fr/resultats/europeennes2024/index.php ii: 17 dissolutions parlementaires entre 1815 et 1955, et 4 en tout depuis 1981. iii: L’état français a intégré l’antisionisme à la définition de l’antisémitisme sous la pression de lobby sionistes comme le CRIF. Cela ouvre la voit à une condamnation et la criminalisation de tout mouvement propalestinien sérieux, la marque d’un alignement de l’état sur les intérêts sionistes voir article iv: Le dégel du corps électoral prêt à enflammer la Kanaky-Nouvelle-Calédonie - Survie v: Il y a vingt ans, « l'opération Victor » ensanglantait Ouvéa - L'Humanité (humanite.fr) vi: Nouvelle-Calédonie : le chef de la CCAT, Christian Tein, va être placé en détention provisoire à Mulhouse (lemonde.fr) vii: Investiture de Bassirou Diomaye Faye : comment son élection redessine le paysage politique du Sénégal ? - BBC News Afrique viii: VRAI OU FAUX. Le Rassemblement national est-il l'héritier de Waffen-SS et du régime de Vichy, comme l'affirme la députée LFI Sarah Legrain ? (francetvinfo.fr) ix: Au-delà des oeillets. Grandeurs et limites de la Révolution portugaise - CONTRETEMPS x: Comment l’argent de l’UE permet aux pays du Maghreb d’expulser des migrants en plein désert (lemonde.fr) xi: https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/03/tunisia-presidents-racist-speech-incites-a-wave-of-violence-against-black-africans/ xii: https://www.contretemps.eu/massacre-racisme-migrants-exil-maroc-espagne-frontiere-melilla/ xiii: https://www.msf.fr/actualites/algerie-niger-des-migrants-violentes-et-expulses-en-plein-milieu-du-desert xiv: https://www.jeuneafrique.com/1482934/societe/sarkozy-le-climat-et-la-fecondite-des-africaines-pourquoi-lex-president-francais-se-et-nous-trompe/ xv: Les visions d’Ernesto Laclau et les ruses de Chantal Mouffe | Le Club (mediapart.fr) xvi: The Handbook of Revolutionary Warfare, Kwame Nkrumah, 1968 xvii: Bolloré en Afrique, une série d'affaires judiciaires (france24.com) xviii: Après avoir labouré le terrain pour l’extrême droite, les médias Bolloré savourent | Mediapart xix: Ces termes sont choisis délibérément pour réfuter l’opération de changement de statut et de nom des colonies qui ne sont qu’une stratégie néocoloniale visant à maquer la réalité coloniale et affaiblir les luttes nationalistes et indépendantistes menées en Guyane et dans les iles africaines occupées de l’océan Indien, des caraïbes et d’Océanie xx: https://survie.org/pays/comores/article/entretien-wuambushu-ne-defend-pas-les-mahorais-mais-les-interets-de-l-etat xxi: Scandale sanitaire aux Antilles : qu’est-ce que le chlordécone ? (lemonde.fr) xxii: Le centre de vaccination incendié à Fort-de-France est toujours inutilisable (rci.fm) xxiii: Seconde Guerre mondiale : la Martinique sous la botte de Vichy - Geo.fr xxiv: FANON Frantz - Maitron xxv: https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/la-resonance-permanente-des-emeutes-de-decembre-1959-a-fort-de-france-1185916.html xxvi: https://www.philomag.com/articles/paulette-nardal-lintellectuelle-martiniquaise-adepte-dune-negritude-de-droite xxvii: RÉPRESSION COLONIALE GUADELOUPE mai 1967 - Survie xxviii: Comment l’abolition de l’esclavage a légitimé le travail forcé colonial en Afrique de l’Ouest (theconversation.com) xxix: https://www.cairn.info/revue-politix-2016-4-page-81.htm xxx: https://journals.openedition.org/hommesmigrations/1719?lang=en xxxi: https://publications.iom.int/system/files/pdf/africa-migration-report.pdf xxxii: https://blogs.mediapart.fr/leopold-lambert/blog/200117/entretien-avec-mathieu-rigouste-une-genealogie-coloniale-de-la-police-francaise xxxiii: https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/CESAIRE.pdf xxxiv: https://lafranceinsoumise.fr/wp-content/uploads/2024/06/Programme-nouveaufrontpopulaire.pdf xxxv: Guerre de l’information contre la France en Afrique : Qu’est ce que le panafricanisme ? [1/3] - Portail de l'IE (portail-ie.fr)
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