Il y a un lien entre l’histoire de l’esclavage et le sort des exilés noirs d’Haïti aux Etats-Unis11/27/2022 L'ONG Amnesty International estime que les mauvais traitements infligés aux demandeurs d’asile haïtiens sont enracinés dans l’histoire de l’esclavagisme aux Etats-Unis. Rencontre avec Norman Ajari, universitaire spécialiste de la question raciale.
Quelle analyse faites-vous du rapport d’Amnesty International, sur les mauvais traitements et les actes de torture des migrants haïtiens noirs aux Etats-Unis ? Il y a un lien avec l’histoire des rapports entre les États-Unis et Haïti qui datent de la révolution, c'est à dire au moment où Saint-Domingue, ancienne colonie française, devient Haïti. À cette époque, Dessalines, empereur et architecte de l'indépendance d'Haïti, essayait de tisser des contacts commerciaux avec les États-Unis. Mais les représentants du sud des États-Unis commençaient progressivement à s'en alarmer et ils se sont dit que ces esclaves, prétendant traiter d'égal à égal avec les Blancs, pouvaient causer des problèmes. On avait peur par exemple que les marins haïtiens, pouvant accoster tranquillement aux États-Unis, puissent propager la révolte et l’idée de la rébellion parmi les esclaves aux États-Unis. Il y a eu finalement un bannissement des bateaux haïtiens, une traque des Haïtiens, ces marins noirs français, comme les appelaient à l'époque les Américains. L'Haïtien était devenu l'ennemi à abattre. Je ne dis pas que les personnes qui réalisent aujourd'hui ces violences contre les Haïtiens ont cet imaginaire très clairement en tête. Mais en tout cas, il y a une histoire, notamment dans le sud des États-Unis, de détestation évidemment de tous les Noirs, en particulier les Haïtiens, en tant que terroristes du point de vue du système colonial. Il y a un lien entre l’histoire des lynchages dans le sud des Etats-Unis et les actes de torture d’aujourd’hui. C’est cette histoire qui est sous-jacente à ces types de violence envers les migrants haïtiens noirs. Que nous disent ces actes de tortures, à caractère racial, de ce racisme systémique aux États-Unis à l'endroit des personnes Noires ? Cela nous dit que, malgré les Obama, Kamala Harris, les grands artistes noirs, les personnalités noires dans l’appareil d’Etat, rien n'atténue une espèce de détestation et de crainte séculaire que cette nation entretient à l'égard des personnes noires de manière générale. On nous avait promis une Amérique post-raciale, la fin des communautés, un triomphe d'une Amérique aveugle à la couleur mais cela demeure une vaste fumisterie. Il suffit de voir ces populations noires d’Haïti qui n'ont absolument aucune possibilité de défendre leurs droits ou d'avoir un quelconque poids diplomatique. À part ces quelques institutions, comme Amnesty International, qui peuvent émettre des rapports et des avis, les migrants haïtiens noirs ne peuvent défendre leurs intérêts. Malheureusement, ils sont aux mains de personnes qui ont, qu'on le veuille ou non, au sein de leur héritage, la culture du lynchage, de la violence et de la mise à mort envers les personnes noires. Depuis le meurtre de George Floyd en 2020, est ce que vous observez, en tant qu'universitaire, un changement dans l'attitude de l'institution de la police à l'endroit des personnes noires ? Il y a des tentatives. On a vu que les assassins de George Floyd ont été condamnés. Si, évidemment, la tendance politique l'autorise ou l'encourage, des tentatives d'amener une certaine réforme policière peuvent se mettre en place. Malheureusement, cela n'a pas empêché évidemment de nombreuses violences et des meurtres perpétrés par la police. Il y a, malgré tout, des tentatives d'instaurer des meilleures pratiques dans certains endroits. Je ne dis pas dans toute la police car, aux États-Unis, c'est extrêmement décentralisé. Dans les grandes métropoles du Nord, avec de grandes populations hispaniques et noires, comme c'est le cas de Philadelphie, il y a eu cette tentative, disons, d'amoindrir le mordant sécuritaire de la police. Cependant, cela peut causer en réaction dans d'autres municipalités du sud ou plus conservatrices, le désir contraire de continuer cette course folle, depuis les années Clinton, d'armer la police avec des armes de guerre. Les policiers sont entrainés à des techniques militaires inspirées de l'armée israélienne et de l'armée américaine. Il y a toujours beaucoup de communication autour des visions politiques de la police. Dans les faits, on a tout de même une police très bien armée qui a tendance à faire un usage particulièrement immodéré, si j'ose dire, de sa légitime défense. C'est cela le principal problème de la police aux États-Unis ! Les affaires de violences policières entraînant la mort sont une extension délirante de la légitime défense. Cela fait malheureusement partie, je pense, de la culture de la police aux États-Unis en général, malgré les bonnes intentions que peuvent avoir certaines municipalités et certains procureurs. Source : https://www.trtfrancais.com/debats/il-y-a-un-lien-entre-lhistoire-de-lesclavage-et-le-sort-des-exiles-noirs-dhaiti-aux-etats-unis-11099542
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Nous avons été logiquement à la fois découragés et consternés par les récents événements et par les réactions au tragique meurtre de Georges Floyd, tué par la police de Minneapolis. Comme vous en êtes tout un chacun conscient, les meurtres et la brutalité infligés à notre peuple n’ont rien d’une aberration ou d’une nouveauté. Le massacre, la torture, la déshumanisation des vies noires remontent aux « Bullwhip Days » (le temps des fouets) sur les plantations des colons européens d’Amérique, les « pères fondateurs », et perdurent jusqu’à aujourd’hui. C’est dans cet héritage que les forces de l’ordre de l’Amérique moderne inscrivent leur objectif principal : la protection non pas des personnes mais de la propriété et de la richesse.
Aujourd’hui ceux qui, parmi les militants, ne sont pas des abolitionnistes (2) déclarés, sont de doux rêveurs. La suprématie blanche et ses institutions, tout particulièrement les agents armés de l’État, c’est-à-dire la police, ne pourront jamais être « réformés ». Ils doivent être abolis et l’édifice entier des forces de l’ordre doit être reconstruit depuis les fondations. Il est temps qu’à l’ère des droits civiques succède une période de « Reconstruction » nationale. Ne vous y trompez pas, Georges Floyd n’est pas mort en héros, comme veulent le faire penser ceux qui détiennent le pouvoir en dupant le peuple avec du sentimentalisme. Il a été assassiné comme une victime malchanceuse, sans défense et apolitique : une victime du maintien de l’ordre raciste implorant pour sa vie et réclamant sa mère aimée au moment de mourir. S’il n’avait pas été tue d’une façon aussi brutale (sous les caméras) peu de gens aujourd’hui aurait une moindre idée de son existence. Floyd n’était pas un combattant tué en luttant pour la libération de son peuple. Il n’était pas un leader noir (3) pour la liberté tel que le fut Martin Luther King. Il ne fut pas la cible d’un assassinat d’État comme le fut Fred Hampton (4). Il était juste un être humain ordinaire, brutalement tué pour avoir été « soupçonné de pouvoir être soupçonné », car Noir et pauvre. C’est le système et ses sbires qui ont tué Floyd et c’est à la destruction de ce système que n’importe quel mouvement véritablement anti-raciste doit se dédier. George Floyd ne peut pas recevoir justice. La justice s’adresse aux vivants et non aux morts. Même si ceux qui sont morts des mains d’un système raciste peuvent inspirer d’autres personnes à ce battre en faveur de la justice, l’inspiration que fait naître leur mort tragique ne peut pas déterminer la stratégie et la tactique de ce mouvement. George n’est pas mort en combattant pour la liberté. Il n’est pas mort en se battant pour une cause politique ou sociale et c’est pour cela que personne ne peut légitimement prétendre que « George n’aurait pas voulu être violent » ou non-violent. Mais nous savons bel et bien une chose : il voulait que ce cracker (5) stoppe d’appuyer sur sa nuque! Ce qu’il voulait c’est que ce porc s’éloigne de lui, et non pas juste des gens en train de le filmer. Il serait encore vivant aujourd’hui si ceux qui ont assisté à l’agonie de ses dernières minutes avaient été violents et avaient jeté une brique, une pierre; s’ils avaient fait n’importe quoi lui permettant de respirer à nouveau! Mais tout le monde était apeuré, parce que tous s’attendaient à ce que leur vie s’évanouissent dans les émanations moralisatrices de la suprématie blanche et de l’injustice institutionnalisée. Et c’est pour cette raison que les gens ont repris la lutte contre les crimes policiers et les violences policières partout dans le monde. Des millions d’opprimés à travers le monde ont vu leur vie engloutie par la violence des États nationaux sécuritaires. Ils attendaient leur exhalation. Ce moment historique est arrivé. Où est la « justice » pour tous ces frères et ces sœurs qui furent incarcérés à cause de leur lutte pour l’intégrité et la liberté des Noirs. Ces hommes et ces femmes sur les épaules desquelles la jeunesse d’aujourd’hui se dresse et qui croupissent en prison à cause du pouvoir politique des syndicats de police et des tribunaux racistes. Je ne parle pas de victimes malgré elles comme Georges Floyd, Éric Garner, Tamir Rice (6) qui suivaient le cours de la vie lors qu’elles furent brutalement assassinées par les porcs habillés en flic. Je parle de ceux qui se sont battus pour nous, pour notre liberté, pour notre droit à pouvoir respirer et à nous défendre. Où est la justice pour eux, alors qu’ils sont encore en vie. Les victimes n’inspirent pas des mouvements de masse en faveur du changement politique et social. Des activistes conscients, des combattants, des acteurs du changement, eux le font. Ceux qui font le choix conscient de combattre pour la justice et des droits humains ne sont jamais dirigés par des « victimes » du système, mais par ceux qui ont décider de résister à l’oppression, à l’exploitation et à la victimisation. Une fois que nous, Noirs, fument considérés dans un premier temps comme étant la propriété des esclavagistes blancs, puis une fois que, l’émancipation déclarée, nous cessâmes d’être la propriété en tant que telle de l’homme blanc, alors nos ancêtres ne furent plus impitoyablement « protégés » par la loi mais perçus comme instruis à l’ordre et aux privilèges de la suprématie blanche. Ils devaient alors être contrôlés, contenus, et maintenus à leur place par la violence. Psychologiquement, l’Amérique blanche est terrifiée par le concept de l’égalité entre Noirs et Blancs car la vraie égalité implique un droit égal à l’autodéfense. Et l’idée la plus effrayante pour l’Amérique blanche est celle d’hommes et de femmes noirs en armes, descendants des anciens esclaves armés, forts du sens de leur propre humanité, exaltés par l’idée de l’autodéfense plutôt qu’affaiblis par le syndrome résiduel de l’esclave qui « souffre en silence » et implore pour sa vie lorsqu’une botte écrase sa nuque. Alors qu’aujourd’hui nous ne sommes plus « légalement » considérés comme la propriété d’autres hommes, notre simple présence nécessite toujours l’imposition d’un pouvoir raciste sur nos corps, d’une contrainte psychologique, d’un contrôle social, d’intimidations violentes et de la menace de répressions massives. Ce sont là les raisons d’être des crimes et des violences policières. Aucune nouvelle formation en psychologie sur les sensibilités sociales ne viendra changer les effets de l’histoire sur les fondations mêmes de l’ordre policier. Les drapeaux dans le vent ne changeront pas grand-chose non plus car le dernier refuge du racisme et de la réaction est le patriotisme. Nous sommes déjà passés par là, nous l’avons déjà fait et nous continuons pourtant de mourir. Et lorsque nous nous soulevons en nous indignant justement, les agents sur-armes de l’État qui nous dénigrent et nous tuent sortent sur le devant de la scène en entamant leur danse (7) de soutien aux côtés de ceux que normalement ils contrôlent et fouillent pour la seule raison qu’ils ont le droit de le faire. Et alors tout va bien puisque (ce) sont de « bons » flics. Aujourd’hui les mouvements pour un vrai changement sont dirigés par des gens qui réinventent la même vielle danse d’il y a 30 ans, sans aucun nouveau pas mais cette fois-ci avec la possibilité que tout le monde puisse venir sur le dance-floor. Seul le contrôle de la sécurité publique dans nos communautés peut endiguer ce poids historique qui structure les forces de l’ordre modernes. La communauté noire doit affirmer sont droit constitutionnel, même s’il demeure suspect, à l’organisation d’une milice armée sous son contrôle pour protéger ses habitants et ses contribuables. Cela commence par la décentralisation de la police et par le contrôle communautaire de la sécurité publique. Cette nouvelle saison de lutte politique s’ouvre en effet une nouvelle fois l’axiome « le bulletin de vote et le fusil (8) ». Les deux requièrent l’expression d’une organisation, et la mise en pratique de ses conséquences politiques. 1 : Texte initialement publié par l’auteur sur sa page Facebook en juin 2020. 2 (NdT) : L’auteur fait ici référence au mouvement pour l’abolition de la police, police abolition movement, ou defund the police appelant au démantèlement de la police comme institution d’État pour la remplacer par des alternatives de contrôle inscrites et gérées par les communautés concernées. 3 (NdT) : L’auteur utilise l’expression drum major désignant les meneurs de troupes dans les formations musicales, notamment noires, comme les fanfares et très populaires aux États-Unis. 4 (NdT) : Fred Hampton : Dirigeant de la section de l’Illinois du Black Panther Party. Initiateur de la Rainbow Coalition à Chicago pour unir les communautés noires, latinos et prolétaires blanches contre les violences policières, la fascisme et le capitalisme. Assassiné dans son sommeil, ainsi que Mark Clark, par le FBI et la police de Chicago le 4 décembre 1969. 5 (Ndt) : Expression péjorative utilisée pour désigner les Blancs. 6 (NdT) : Éric Garner, Noir américain assassiné par la police le 17 juillet 2014 à New York. Tamir Rice, jeune garçon noir de 12 ans assassiné par la police le 22 novembre 2014 à Cleveland. 7 (NdT) : L’auteur utilise ici l’expression « do the electric slide », chanson populaire des années 1980 aux USA devenue le nom d’une danse très populaire au sein de la communauté noire et qui pourrait traduire ici l’idée de se démener et de baratiner en faveur du pouvoir tout en prétendant représenter les intérêts des Noirs. 8 (NdT) : L’auteur fait ici référence au discours de Malcolm X « The Ballot or the Bullet », « Le bulletin de vote ou le fusil » prononcé le 3 avril 1964 à Cleveland, réaffirmant le droit des Noirs à l’autodéfense armée et au nationalisme noir tout en développant des pistes d’alliances en se basant, entre autres sur les luttes des droits civiques aux USA. Dhoruba Bin Wahad, Écrits Politiques, Terrasses éditions. La saillie raciste d’un député RN à l’encontre d’un autre député, Carlos Martens Bilongo, fait scandale. Mais pour le philosophe Norman Ajari, le racisme n’est pas seulement un propos isolé, mais un projet politique et une vision du monde. « Ce jeudi 3 novembre 2022, un incident significatif est survenu alors que le député de la France Insoumise Carlos Martens Bilongo abordait dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale la douloureuse question des migrants qui traversent la mer Méditerranée, où plusieurs milliers d’entre eux ont déjà trouvé la mort. Soudain, le député du Rassemblement National Grégoire de Fournas, profitant d’une respiration dans le discours de son collègue, à hurlé une phrase qui a rapidement déchaîné une querelle d’interprétation. “Qu’il retourne en Afrique !”, ont entendu certains, à commencer par M. Bilongo lui-même. En effet le député de gauche est d’origine congolaise, , et seuls les faux naïfs s’étonnent qu’un militant d’extrême droite puisse considérer qu’un homme noir parlant pour les damnés de la terre mérite l’excommunication. Mais, pour se dédouaner, le RN a cru qu’il lui suffirait de clamer que le parlementaire avait mis la phrase au pluriel, l’adressant aux migrants plutôt qu’à M. Bilongo. Un tour de passe-passe cousu de fil blanc qui n’empêche pas Grégoire de Fournas d’écoper une exclusion de 15 jours de l’Assemblée et d’une diminution de ses émoluments – certes plus pour le chahut provoqué que pour la teneur exacte de ses propos. Le parti d’extrême droite cherche à faire croire qu’un député noir n’est pas en capacité de comprendre ce qu’on lui dit, ou bien qu’une vaste manipulation de la gauche entretiendrait la confusion. Mais M. Carlos Martens Bilongo n’est pas un imbécile. C’est un homme dont le courage et la détermination nous remplissent d’admiration. Il a fait FI des statistiques, partant d’un BEP pour parvenir à des études supérieures. Il s’est lancé sur le marché du travail pour contribuer à subvenir aux besoins de sa famille après un deuil douloureux. Il a fait mentir un système qui rive les banlieusards, les personnes d’extraction prolétaire et les populations noires à la marginalité. Mais ni la réussite sociale ni la faveur des urnes n’effacent la noirceur et le mépris raciste. Je me sens évidemment d’autant plus solidaire de son expérience que nous savons pertinemment que ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’il sera mis face à un tel dédain de sa personne et de son ascendance africaine. Cependant, de nombreuses voix s’élèvent pour affirmer qu’une fois mise au pluriel et adressée à des Africains dans une grande détresse, la phrase représenterait une idée politique plus acceptable. Pour le nouvellement élu président du RN Jordan Bardella, les propos racistes du député ne sont qu’un problème de forme, non de fond. Que les migrants retournent en Afrique, après tout c’est in nuce tout le programme du parti. Mais même certains commentateurs de gauche hésitent à qualifier de raciste la sortie de Grégoire de Fournas, confondant son braillement xénophobe dans l’hémicycle avec une idée politique. Une raison majeure de notre embarras et de cette frilosité à taxer les propos du député d’extrême-droite de racisme, doit beaucoup à la judiciarisation des injures à caractère raciste en France. Au-delà de tous les débats bien connus sur la liberté d’expression et ses limites, je crois nécessaire de pointer un effet pervers trop souvent négligé de l’importance démesurée souvent accordée à de tels délits. Dans l’espace public, les condamnations liées au racisme (mais aussi à l’homophobie, au sexisme, etc.) tendent de plus en plus à fonctionner comme un organisme de certification officiel, désignant les personnalités et les groupes que nous serions autorisés à associer racisme. Cette quasi-monopolisation par l’État de la définition du racisme s’apparente à une profonde dépolitisation de la question. Nous sommes invités à considérer le racisme comme une incivilité, comme une atteinte à la réputation d’un individu, davantage que comme un projet de société et une vision du monde. Symptôme de ce frelatage de la signification politique du racisme, la prolifération de l’expression répétée à l’envi, comme pour clore tout débat : “Ce n’est pas une opinion, c’est un délit.” À tous égards, une telle maxime est intellectuellement malhonnête. En considérant les choses froidement, il n’y a jamais que des opinions dont l’État a fait un délit. Elles ne cessent pas d’être des opinions par la grâce de leur mise hors-la-loi. La mise au ban du racisme injurieux présente certes l’indéniable avantage à civiliser certaines conversations, mais elle ne suffira pas à déraciner les opinions racistes de l’âme de celles et ceux qui les affichent et sont seulement par-là contraints à raffiner leur expression, comme y invite Jordan Bardella, pour mieux slamomer entre les mises à pied, les amendes et les frais d’avocat. Le racisme ne s’interdit pas ; on lutte contre les racistes. Pour nous clarifier les idées, émancipons-nous de l’idée que le délit de propos à caractère raciste, ou ce qui y ressemble, serait la meilleure mesure du racisme. Certains considèrent l’adresse « Retourne en Afrique! » plus grave, plus injurieuse et, somme toute, plus raciste que le pluriel « Qu’ils retournent en Afrique ». C’est exactement l’inverse. La seconde phrase, comme l’a fièrement revendiqué Grégoire de Fournas, désigne le projet politique d’un parti. Lancée au visage de M. Bilongo alors qu’il abordait le sujet tragique de la mort des migrants, elle invite à les faire tous ensemble disparaître du paysage. En filigrane de ce « qu’ils retournent en Afrique », toute une lâcheté de naufrageur; tout un mépris des droits humains adossé au piteux idéal d’un privilège français. Ce désir de transformer en forteresse un pays dont la fortune doit tant au néocolonialisme de la Françafrique, qui explose de grossièreté impatiente au cœur du pouvoir législatif national, c’est l’essence même du racisme, sa première source : l’impérialisme. Si l’extrême droite peut vouloir inviter M. Bilongo à la remigration, c’est d’abord et en premier lieu parce qu’elle a défini les Africains comme des indésirables, des contaminants, des déchets, des épaves à rejeter à la mer. Le racisme contemporain est une panique démographique; il se pense toujours au pluriel avant de se dire au singulier. Pour autant, ce n’est pas à l’État de borner ce que les militants peuvent légitimement qualifier de raciste. C’est le rôle des activistes de désigner exactement tous ceux qui, au nom de la France, méprisent le genre humain. Ces racistes sont des ennemis; débattre avec eux, comme la démocratie l’exige, tient de la lutte davantage que de l’échange d’amabilités. Tant que les débats sur le racisme se borneront à s’indigner des injures et à fliquer les rapports interpersonnels, on prendra le racisme pour une denrée rare ne concernent qu’une poignée de propos tombant sous le coup de la loi. En réalité, c’est malheureusement une vision du monde extrêmement commune. L’attitude qui loue la mainmise française sur les ressources du Sud global, tout en veillant à repousser et à humilier à toute force les populations qui en sont issues, vaut d’être dénoncée comme raciste. La préférence nationale doit être qualifiée de raciste. “Fasciste”, “impérialiste”, “raciste”, ne sont pas des insultes ou des qualificatifs infamants dont on devrait s’effaroucher. Ce sont des termes qui décrivent objectivement et exactement les projets, l’idéologie et les réalisations du chauvinisme français comme du néolibéralisme autoritaire qui prospèrent dans ce pays. Si l’on prenait la mesure des choses sans avoir peur des mots, ces termes résonneraient chaque jour dans l’hémicycle et on les lirait quotidiennement dans les journaux, tant sont nombreux les projets impérialistes, fascistes et racistes que nous nous sommes habitués à tenir pour le business as usual de la politique. » Article original : https://www.philomag.com/articles/norman-ajari-le-racisme-ne-sinterdit-pas-lutte-contre-les-racistes |
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