Nous avons été logiquement à la fois découragés et consternés par les récents événements et par les réactions au tragique meurtre de Georges Floyd, tué par la police de Minneapolis. Comme vous en êtes tout un chacun conscient, les meurtres et la brutalité infligés à notre peuple n’ont rien d’une aberration ou d’une nouveauté. Le massacre, la torture, la déshumanisation des vies noires remontent aux « Bullwhip Days » (le temps des fouets) sur les plantations des colons européens d’Amérique, les « pères fondateurs », et perdurent jusqu’à aujourd’hui. C’est dans cet héritage que les forces de l’ordre de l’Amérique moderne inscrivent leur objectif principal : la protection non pas des personnes mais de la propriété et de la richesse.
Aujourd’hui ceux qui, parmi les militants, ne sont pas des abolitionnistes (2) déclarés, sont de doux rêveurs. La suprématie blanche et ses institutions, tout particulièrement les agents armés de l’État, c’est-à-dire la police, ne pourront jamais être « réformés ». Ils doivent être abolis et l’édifice entier des forces de l’ordre doit être reconstruit depuis les fondations. Il est temps qu’à l’ère des droits civiques succède une période de « Reconstruction » nationale. Ne vous y trompez pas, Georges Floyd n’est pas mort en héros, comme veulent le faire penser ceux qui détiennent le pouvoir en dupant le peuple avec du sentimentalisme. Il a été assassiné comme une victime malchanceuse, sans défense et apolitique : une victime du maintien de l’ordre raciste implorant pour sa vie et réclamant sa mère aimée au moment de mourir. S’il n’avait pas été tue d’une façon aussi brutale (sous les caméras) peu de gens aujourd’hui aurait une moindre idée de son existence. Floyd n’était pas un combattant tué en luttant pour la libération de son peuple. Il n’était pas un leader noir (3) pour la liberté tel que le fut Martin Luther King. Il ne fut pas la cible d’un assassinat d’État comme le fut Fred Hampton (4). Il était juste un être humain ordinaire, brutalement tué pour avoir été « soupçonné de pouvoir être soupçonné », car Noir et pauvre. C’est le système et ses sbires qui ont tué Floyd et c’est à la destruction de ce système que n’importe quel mouvement véritablement anti-raciste doit se dédier. George Floyd ne peut pas recevoir justice. La justice s’adresse aux vivants et non aux morts. Même si ceux qui sont morts des mains d’un système raciste peuvent inspirer d’autres personnes à ce battre en faveur de la justice, l’inspiration que fait naître leur mort tragique ne peut pas déterminer la stratégie et la tactique de ce mouvement. George n’est pas mort en combattant pour la liberté. Il n’est pas mort en se battant pour une cause politique ou sociale et c’est pour cela que personne ne peut légitimement prétendre que « George n’aurait pas voulu être violent » ou non-violent. Mais nous savons bel et bien une chose : il voulait que ce cracker (5) stoppe d’appuyer sur sa nuque! Ce qu’il voulait c’est que ce porc s’éloigne de lui, et non pas juste des gens en train de le filmer. Il serait encore vivant aujourd’hui si ceux qui ont assisté à l’agonie de ses dernières minutes avaient été violents et avaient jeté une brique, une pierre; s’ils avaient fait n’importe quoi lui permettant de respirer à nouveau! Mais tout le monde était apeuré, parce que tous s’attendaient à ce que leur vie s’évanouissent dans les émanations moralisatrices de la suprématie blanche et de l’injustice institutionnalisée. Et c’est pour cette raison que les gens ont repris la lutte contre les crimes policiers et les violences policières partout dans le monde. Des millions d’opprimés à travers le monde ont vu leur vie engloutie par la violence des États nationaux sécuritaires. Ils attendaient leur exhalation. Ce moment historique est arrivé. Où est la « justice » pour tous ces frères et ces sœurs qui furent incarcérés à cause de leur lutte pour l’intégrité et la liberté des Noirs. Ces hommes et ces femmes sur les épaules desquelles la jeunesse d’aujourd’hui se dresse et qui croupissent en prison à cause du pouvoir politique des syndicats de police et des tribunaux racistes. Je ne parle pas de victimes malgré elles comme Georges Floyd, Éric Garner, Tamir Rice (6) qui suivaient le cours de la vie lors qu’elles furent brutalement assassinées par les porcs habillés en flic. Je parle de ceux qui se sont battus pour nous, pour notre liberté, pour notre droit à pouvoir respirer et à nous défendre. Où est la justice pour eux, alors qu’ils sont encore en vie. Les victimes n’inspirent pas des mouvements de masse en faveur du changement politique et social. Des activistes conscients, des combattants, des acteurs du changement, eux le font. Ceux qui font le choix conscient de combattre pour la justice et des droits humains ne sont jamais dirigés par des « victimes » du système, mais par ceux qui ont décider de résister à l’oppression, à l’exploitation et à la victimisation. Une fois que nous, Noirs, fument considérés dans un premier temps comme étant la propriété des esclavagistes blancs, puis une fois que, l’émancipation déclarée, nous cessâmes d’être la propriété en tant que telle de l’homme blanc, alors nos ancêtres ne furent plus impitoyablement « protégés » par la loi mais perçus comme instruis à l’ordre et aux privilèges de la suprématie blanche. Ils devaient alors être contrôlés, contenus, et maintenus à leur place par la violence. Psychologiquement, l’Amérique blanche est terrifiée par le concept de l’égalité entre Noirs et Blancs car la vraie égalité implique un droit égal à l’autodéfense. Et l’idée la plus effrayante pour l’Amérique blanche est celle d’hommes et de femmes noirs en armes, descendants des anciens esclaves armés, forts du sens de leur propre humanité, exaltés par l’idée de l’autodéfense plutôt qu’affaiblis par le syndrome résiduel de l’esclave qui « souffre en silence » et implore pour sa vie lorsqu’une botte écrase sa nuque. Alors qu’aujourd’hui nous ne sommes plus « légalement » considérés comme la propriété d’autres hommes, notre simple présence nécessite toujours l’imposition d’un pouvoir raciste sur nos corps, d’une contrainte psychologique, d’un contrôle social, d’intimidations violentes et de la menace de répressions massives. Ce sont là les raisons d’être des crimes et des violences policières. Aucune nouvelle formation en psychologie sur les sensibilités sociales ne viendra changer les effets de l’histoire sur les fondations mêmes de l’ordre policier. Les drapeaux dans le vent ne changeront pas grand-chose non plus car le dernier refuge du racisme et de la réaction est le patriotisme. Nous sommes déjà passés par là, nous l’avons déjà fait et nous continuons pourtant de mourir. Et lorsque nous nous soulevons en nous indignant justement, les agents sur-armes de l’État qui nous dénigrent et nous tuent sortent sur le devant de la scène en entamant leur danse (7) de soutien aux côtés de ceux que normalement ils contrôlent et fouillent pour la seule raison qu’ils ont le droit de le faire. Et alors tout va bien puisque (ce) sont de « bons » flics. Aujourd’hui les mouvements pour un vrai changement sont dirigés par des gens qui réinventent la même vielle danse d’il y a 30 ans, sans aucun nouveau pas mais cette fois-ci avec la possibilité que tout le monde puisse venir sur le dance-floor. Seul le contrôle de la sécurité publique dans nos communautés peut endiguer ce poids historique qui structure les forces de l’ordre modernes. La communauté noire doit affirmer sont droit constitutionnel, même s’il demeure suspect, à l’organisation d’une milice armée sous son contrôle pour protéger ses habitants et ses contribuables. Cela commence par la décentralisation de la police et par le contrôle communautaire de la sécurité publique. Cette nouvelle saison de lutte politique s’ouvre en effet une nouvelle fois l’axiome « le bulletin de vote et le fusil (8) ». Les deux requièrent l’expression d’une organisation, et la mise en pratique de ses conséquences politiques. 1 : Texte initialement publié par l’auteur sur sa page Facebook en juin 2020. 2 (NdT) : L’auteur fait ici référence au mouvement pour l’abolition de la police, police abolition movement, ou defund the police appelant au démantèlement de la police comme institution d’État pour la remplacer par des alternatives de contrôle inscrites et gérées par les communautés concernées. 3 (NdT) : L’auteur utilise l’expression drum major désignant les meneurs de troupes dans les formations musicales, notamment noires, comme les fanfares et très populaires aux États-Unis. 4 (NdT) : Fred Hampton : Dirigeant de la section de l’Illinois du Black Panther Party. Initiateur de la Rainbow Coalition à Chicago pour unir les communautés noires, latinos et prolétaires blanches contre les violences policières, la fascisme et le capitalisme. Assassiné dans son sommeil, ainsi que Mark Clark, par le FBI et la police de Chicago le 4 décembre 1969. 5 (Ndt) : Expression péjorative utilisée pour désigner les Blancs. 6 (NdT) : Éric Garner, Noir américain assassiné par la police le 17 juillet 2014 à New York. Tamir Rice, jeune garçon noir de 12 ans assassiné par la police le 22 novembre 2014 à Cleveland. 7 (NdT) : L’auteur utilise ici l’expression « do the electric slide », chanson populaire des années 1980 aux USA devenue le nom d’une danse très populaire au sein de la communauté noire et qui pourrait traduire ici l’idée de se démener et de baratiner en faveur du pouvoir tout en prétendant représenter les intérêts des Noirs. 8 (NdT) : L’auteur fait ici référence au discours de Malcolm X « The Ballot or the Bullet », « Le bulletin de vote ou le fusil » prononcé le 3 avril 1964 à Cleveland, réaffirmant le droit des Noirs à l’autodéfense armée et au nationalisme noir tout en développant des pistes d’alliances en se basant, entre autres sur les luttes des droits civiques aux USA. Dhoruba Bin Wahad, Écrits Politiques, Terrasses éditions.
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